Le dimanche aux JTC

Une journée d’information consacrée à la mobilisation des ressources pour les industries culturelles et créatives ainsi que le marathon des pièces ont marqué le premier jour de la 20e édition des Journées théâtrales de Carthage. 
De nombreux acteurs de la vie culturelle tunisienne étaient présents pour assister à un colloque concernant la mobilisation des ressources pour les industries culturelles et créatives. Nul besoin ici de rappeler le rôle sans cesse grandissant joué par la culture au sein de la société arabe. Un rôle fondamental dans la mesure où elle met un frein à toute forme d’obscurantisme ou de pensée rétrograde et participe à l’éducation des générations futures. Les arts et la culture permettant ainsi au plus grand nombre de se familiariser avec des notions universelles, telles que la tolérance, les libertés individuelles, le pardon, le dialogue…
Spécialistes de la culture, du droit et de la comptabilité
Pour cette 20e édition, les JTC renouvellent donc pour la deuxième fois leur partenariat avec Culture Funding Watch afin de soutenir la diffusion d’informations sur la mobilisation de ressources pour les industries culturelles et créatives dans la région Mena. Tel que rappelé par les organisateurs de cet événement très attendu, les informations sur le financement des industries culturelles et créatives restent généralement dispersées, voire peu accessibles. Ce colloque constitue à ce titre non seulement une occasion exceptionnelle de réfléchir aux mécanismes de financement existants en faveur des projets culturels et créatifs de la région, mais il constitue aussi une opportunité de connaître des offres de financement disponibles et de rencontrer des bailleurs de fonds nationaux et internationaux.
JTC et Culture Funding Watch
C’est Mme Wafa Belgacem, directrice générale de Culture Funding Watch, qui donne le coup d’envoi du colloque. Elle sera la médiatrice de ce colloque qui apporte un éclairage nouveau à différents sujets d’actualité ayant trait au monde de la culture et son financement. Après avoir accueilli les convives et présenté les grandes lignes de cette rencontre, elle cède la parole à Mouadh Mhiri, expert-comptable, et Chiheb Ghazouani, avocat et président de Tunisian Startups Association, qui reviendront notamment sur le «Mécénat culturel le Startup Act en Tunisie: état des lieux». La reconnaissance juridique des mécénats remontant à 2015, il fallait tout naturellement mettre fin à certaines idées reçues selon lesquelles l’administration fiscale a peur de la culture et la limite à un acte de mauvaise gestion. Et avec la nouvelle loi de finances, les industries culturelles créatives comptent parmi les activités culturelles prioritaires et on peut dorénavant gagner sa vie par la culture comme cela est le cas au Kenya, au Nigeria ou encore en Turquie. D’autant plus que le fonds d’investissement peut maintenant et de manière «plus concrète» faire gagner de l’argent aux entreprises. Car comme l’a rappelé l’un des intervenants, pour la première fois au ministère de la Culture, un budget orienté et objectif a été voté faisant la part belle aux arts, aux livres et à la culture, à l’action culturelle et au patrimoine.
A la rencontre des bailleurs de fonds
Les invités se sont entretenus à tour de rôle avec les représentants des fondations conviées:
Donia Slama de la fondation Kamel-Lazaâr, la dramaturge et comédienne Leila Toubel, directrice Dream’s Chebeb, Salma Baghdadi de la fondation Biat, Sandra Grziwa de l’European Cultural Foundation, Molka Haj Salem de la Fondation Rambourg, Heba El-Kholi de Lotfia Rabbani Foundation, Hajer Trabelsi de la Fondation de France et enfin Hazar Hichri de l’Europe Creative Desk. Le colloque a ainsi été une formidable occasion de voir spécialistes de la culture, du droit et de la comptabilité échanger et partager. Encourageant.
«Ur» de Suleiman Al Bassem
La pièce de théâtre germano-koweïtienne «Ur» de Suleiman Al Bassem a été jouée avant-hier à la Cité de la culture. Une création hypnotique, contemplative et un véritable hymne à la vie.
La création de Suleiman Al Bassem dénonce toutes les exactions commises en Irak tout au long de son existence. Que ce soit les guerres déclarées par les envahisseurs élamites, les massacres commis par les troupes anglaises ou plus récemment encore par l’armée américaine ou le groupe terroriste Daesh. Et pourtant, cette terre, au même titre que l’Afrique, est le berceau de l’humanité. La tradition veut même que lorsqu’Adam et Eve aient été chassés du Paradis, le premier pays dont ils foulent le sol est la Mésopotamie. L’arche de Noé elle-même a été inspirée par l’épopée de Gilgamesh et bien avant que Moise ne reçoive les dix commandements, Hammourabi rédigeait son fameux code sur de grandes stèles. Le dramaturge allemand d’origine koweitienne Suleiman Al Bassem n’a de cesse de le rappeler et il semble avoir pardonné à ceux qui ont ruiné cette terre (le pardon est d’ailleurs au centre de sa réflexion. Lui dont le pays a été ravagé par les troupes de Saddam Hussein durant la première guerre du Golfe) mais il ne semble pas pour autant avoir oublié ce paradis perdu. Bien au contraire puisque c’est un véritable travail de mémoire auquel il se livre. Sumer où vers 3 300 avant J.-C. se produit «La» révolution urbaine avec l’apparition de nombreuses cités avec une organisation sociale hiérarchisée dominée par un roi-prêtre comme c’est le cas avec «Ur».
La pièce comprend de nombreux flashbacks et le spectateur se trouve téléporté. En 2000 avant l’ère chrétienne, soit la veille de la destruction de la cité par les élamites, puis en 1903 lorsque des archéologues allemands effectuent des fouilles, mais aussi en 2015 durant le passage bref mais destructeur de Daesh et enfin en 2035 dans un avenir proche où la procréation est passible de la peine de mort mais où les habitants vivent dans des gratte-ciels. Le dramaturge semble en outre vouer une fascination sans bornes à son personnage principal, en l’occurrence la déesse Ningal et son règne libertin. Une régente qui a ouvert les portes de la ville et appelé à un libre échange intellectuel et érotique, défiant par là même son père le dieu Enlil. Tels ces archéologues allemands, le spectateur se voit jouer les actions à l’origine des «lamentations sur la destruction d’Ur», fameux texte écrit vers le IIe millénaire av. J.-C où elle pleure la destruction d’Ur ordonnée par le dieu Enlil.
La mise en scène est très inventive et parvient à capter l’attention tout au long des deux heures que dure la représentation. Le public, disposé de part et d’autre de la scène, assiste médusé à ce déploiement de techniques et de moyens, assez inhabituel il faut bien le reconnaître, contribuant à son immersion totale. Un décor à l’architecture moderne mis en exergue par un subtil jeu de lumière. Les projecteurs révèlent ainsi chaque détail et le public parvient même à distinguer l’écriture cunéiforme des tablettes que les protagonistes tiennent en main. Des comédiens au nombre de sept investis dans leur travail, s’exprimant en arabe et en allemand et s’appropriant littéralement la scène. Quant aux costumes, ils semblent confectionnés par des couturiers de renom pour une pièce que l’on voudrait programmée plus souvent, même en dehors des JTC. Une réussite.